Fluxury by Sergio Benvenuto

Esthétique et fétichisme. Barthes et l'image photographiqueMar/03/2017


 « Le corps total est hors du langage, seuls arrivent à l’écriture des morceaux de corps […] (peut-être parce qu’il y a une vocation fétichiste du langage)»[1]

 

« J’adorerais bien une Image, une Peinture, une Statue, mais une photo ? Je ne peux la placer dans un rituel […] qu’[en] lui faisant rejoindre une tout autre classe de fétiches : les icônes, que, dans les églises grecques, l’on baise sans les voir, sur la vitre glacée. »[2]

 

 

          L’essai de Roland Barthes appelé “Le troisième sens” traite en apparence du cinéma d’Eisenstein[3]. Or, quand on entend le nom d’Eisenstein, on pense avant tout à un cinéma où le montage est crucial. Cependant, le sous-titre de l’essai nous promet déjà des surprises : « Notes de recherche sur certains photogrammes d’Eisenstein. » Il ne s’agit donc pas de montage : ici ce qui intéresse Barthes est d’analyser certains photogrammes du film seulement - non pas la structure, la dialectique du montage et les tensions du récit, mais seulement certains détails[4].

 

  1. 1.    Les “trois sens” du photogramme

 

Pourtant, c’est à partir de cette focalisation sur les photogrammes que Barthes osera une théorie du filmique en général (dans laquelle nous n’entrerons pas ici). L’étude de photogrammes isolés ne doit donc pas être prise comme une autolimitation : car c’est dans le fragment, dans le détail volé au contexte et au continuum, que Barthes cherche justement l’essentiel.

          Le fait que Barthes ait écrit sur quelques grands maîtres – sur Racine, La Rochefoucauld, Balzac, Michelet, Brecht, etc. – ne doit pas nous tromper : même dans des œuvres qui jouissent du respect universel, bien souvent c’est un détail stylistique, quelque chose de marginal ou de transversal, qui attire son attention. On croit par exemple que Barthes s’est occupé du langage de la mode. En réalité, il a écrit Système de la mode[5], un livre qui se concentre sur un aspect de la mode qui pourrait sembler particulièrement marginal: les descriptions écrites de vêtements que l’on trouve dans certaines revues de mode françaises. Déjà en soi, la mode féminine est considérée comme un sujet futile, mais les descriptions d’habits de mode sont encore plus dérisoires, d’ailleurs presque personne ne les lit. Dans un entretien avec Barthes, Laurent Colombourg lui demande ainsi s’il n’a pas tiré avec un canon méthodologique sur une mouche insignifiante. Il répond que sa méthode veut justement être une « philosophie du rien » – dans le sillage de Mallarmé, directeur de La dernière mode, qu’elle se veut une variation sur le thème du vide, du néant, de ce que Mallarmé appelait le « bibelot »[6]. Comme Mallarmé, Barthes a toujours voulu transgresser le « tabou de la futilité »[7]. Au fond, l’écriture de Barthes tend à faire briller non pas les grandes structures, mais le bibelot. C’est le bibelot d’Eisenstein qui pique sa curiosité.

Barthes distingue trois niveaux de sens dans les photogrammes (mais il pourrait aussi bien le faire dans tout autre texte). Le premier est celui de la communication, ou si l’on veut de l’information : on raconte une certaine histoire. Le second niveau est celui de la signification : il s’agit de l’ordre des « symboles » - et il l’écrit ainsi, entre guillemets. C’est l’ordre qui plaît tant aux critiques et aux intellectuels. Les symboles sont verbalisés, on fait généralement appel au marxisme, à la psychanalyse, à l’économie, à la dramaturgie (aujourd’hui nous inclurions aussi les symboles qui obsèdent les cultural studies, comme les différences historiques du gender ou l’anthropologie culturelle). C’est le niveau de l’interprétation, que j’appellerais herméneutique. Et Barthes dit que ce niveau délivre un sens obvie.

Il existe enfin un troisième niveau, qu’il appelle signifiance – « un troisième sens, évident, erratique et têtu ». Dans un photogramme d’Ivan le Terrible, où deux courtisans versent une pluie d’or sur la tête du jeune tsar , ce troisième sens est décrit comme

 

une certaine compacité du fard des courtisans, ici épais, appuyé, là lisse, distingué ; c’est le nez « bête » de l’un, c’est le fin dessein des sourcils de l’autre, sa blondeur fade, son teint blanc et passé, la platitude apprêtée de sa coiffure, qui sent le postiche, le raccord au fond de teint plâtreux, à la poudre de riz.[8] (TS 44)

 

Prendre en considération ce troisième niveau signifie s’interroger sur la lecture, “c’est une approche « poétique »” (TS 44). Cette approche rappelle celle de Benedetto Croce (1912-1936) , qui insistait sur l’importance de la « poésie » dans chaque œuvre[9]. Selon Barthes, quelque chose dans ces visages « excède la psychologie, l’anecdote, la fonction et pour tout dire le sens, sans pourtant se réduire à l’entêtement que tout corps humain met à être là. » (TS 45). Ce « troisième sens », différent aussi bien du sens dénoté du message que du sens évident des symboles, est pour Barthes un sens obtus. Plus qu’un troisième sens, nous devrions l’appeler un « trait sans sens » : le signifiant. « Le sens obtus est un signifiant sans signifié » (TS 55). On arrive ici au paradoxe du poststructuralisme français, qui, tout en se référant fondamentalement à Ferdinand de Saussure, a fini par promouvoir une conception du signifiant de moins en moins structuraliste. En linguistique structurale, le signifiant est en effet inséparable du signifié, alors qu’au fil du temps le poststructuralisme est allé vers un signifiant sans sens, qu’on pourrait rapprocher du signe musical.

 

          Pour résumer, Barthes trouve dans le photogramme la stratification suivante:

 

NIVEAU                                 SEMIOTIQUE DU…                       SENS

 

1. Communication                   Message                                [Dénoté]

 

2. Signification                        “Symbole”                             Obvie

 

3. Signifiance                           Signifiant                              Obtus

 

Puis il déclare qu’il ne s’occupera dans ce texte que du second et du troisième niveau.

 

2.       Le signifiant est obtus

 

Cette opposition entre obvie et obtus est quelque peu déconcertante. En géométrie, l’obtus ne s’oppose pas à l’obvie, mais à l’aigu. Alors pourquoi « obvie » et non « aigu » ? Évidemment, Barthes souhaite valoriser l’ob de obvius et de obtusus, qui en latin signifie « devant, au devant ». Obvius signifiait justement « qui vient au-devant », et vient vers nous (à l’encontre, à la rencontre); obtusus signifiait au contraire épointé[10], émoussé, sans pointe[11]. Le français obvie a aussi le sens d’« évident ». Pour Barthes, l’obvie « est un sens qui me cherche, moi, destinataire du message », un sens intentionnel[12] qui, dans sa clôture et sa complétude, vient à ma rencontre, à moi en tant que spectateur. Même si Barthes n’ose pas utiliser ce terme, voilà celui qui vient à la bouche du lecteur : le sens obvie nous embroche. Comme une épée ou – et Barthes a dû y penser – un pénis. Et l’on retrouve alors ce contraire d’obtus – aigu – que Barthes a évité (peut-être pour éviter le clin d’œil au lecteur) : l’angle aigu, inférieur à l’angle droit, évoque en effet quelque chose de clos et de contenu, mais aussi l’arête, l’éperon, le coin du bûcheron, quelque chose qui peut pénétrer. Ce qui est aigu est obvie dans le sens qui s’impose à nous. Dans le langage psychanalytique auquel Barthes s’abandonnait souvent, nous pourrions dire que le sens obvie est phallique.

          L’obtus, au contraire, est ce qui “est émoussé, de forme arrondie[13]” (TS 45). Il est supplémentaire par rapport au sens obvie tout comme l’angle obtus est supplémentaire par rapport à l’angle aigu : nous pourrions ainsi dire que le sens obtus enveloppe le sens obvie comme un contenant ou un étui. Il évoque une rondeur féminine, comme les seins ou les fesses. Mais « obtus » dénote quelque chose de stupide, de fermé au sens. Quel rapport existe-t-il entre le rond, l’émoussé et la stupidité ? Si le sens obtus est en fin de compte le fameux signifiant du structuralisme, dans quel sens est-il rond, bête et supplémentaire?

          Pour Barthes, le sens obtus (le signifiant) est la Terre Promise d’une nouvelle esthétique – qu’il rêve dans une société « délivrée de… ». Peut-être dans cette même société à laquelle rêvait aussi Eisenstein. Mais alors, pourquoi le marquer de ce caractère de stupidité ? Quand il doit en donner quelque exemple, il cite même les romans-photos, la forme médiatique la plus basse culturellement à cette époque : « leur bêtise me touche » [italique de Barthes] (TS 59). Le sens obtus (le signifiant) n’est pas le profond, le coupant, l’aigu, c’est simplement quelque chose qui frappe. Pas au sens phallique, mais féminin et – comme nous le verrons – maternel. On doit l’entendre, à la limite, non au sens sémantique mais au sens physiologique, celui des cinq sens. C’est un sens qui se manifeste du côté affectif (alors que le sens obvie, symbolique, se manifeste plutôt du côté conceptuel) :

 

Je crois que le sens obtus porte une certaine émotion ; prise dans le déguisement, cette émotion n’est jamais poisseuse ; c’est une émotion qui désigne simplement ce qu’on aime, ce qu’on veut défendre ; c’est une émotion-valeur, une évaluation. (TS 51)

 

Le caractère poétique du sens obtus est en somme redoublé par son caractère émotionnel.

          Pourtant ce sens obtus – le signifiant – nous échappe à travers le texte de Barthes. Et il ne peut en être autrement, étant donné que l’obtus se défile, fuit hors du langage, “ ma lecture reste suspendue entre l’image et la description, entre la définition et l’approximation” (TS 55). Quelle est alors cette chose que Barthes nous indique, de manière tour à tour claire et obscure, de manière si insinuante et si obstinée ?

 

          Énumérons les exemples d’“obtus” qu’il nous donne, tous tirés de photogrammes.

          Du Cuirassé Potemkine : des mèches de cheveux sur deux têtes féminines, la tête bouclée d’une femme au profil un peu ovin, les casquettes rondes de deux ukrainiens. D’Ivan le Terrible : l’aspect compact du fard d’un courtisan, le nez « bête» d’un autre, les sourcils finement dessinés d’un personnage, sa mise, etc., la beauté du jeune Basmanov, la laideur « obtuse » d’Euphrosine et d’un moine ; les grosses cravates de laine nouées jusqu’au menton et le lait tourné de la peau des Enfants dans la Fournaise. Dans un photogramme d’un documentaire sur le nazisme, il voit l’« obtus » dans la figure bête (encore !) d’un jeune déguisé en porte-flèches médiéval, dans les gros ongles et l’anneau de pacotille de Göring qui tend un arc.

 

Comment réagit le lecteur (et Spectator) aux photogrammes reproduits dans le texte, à ces exempla de Barthes ? On aurait presque envie de faire une enquête, en demandant à plusieurs lecteurs comment ils répondraient à ces détails qui captivent tant Barthes. Le soupçon nous vient que ces « obtusités » n’existent que dans les yeux de l’auteur, qu’elles sont en somme « son affaire ». Barthes lui-même le suspecte : « … si [le sens obtus] m’est évident (à moi), c’est peut-être encore (pour le moment) par la même “aberration” qui obligeait le seul et malheureux Saussure à entendre une voix énigmatique, inoriginée et obsédante, celle de l’anagramme, dans le vers archaïque » [italique de Barthes] (TS 54)[14]. Ce passage devrait faire l’objet d’un long commentaire. Et ce non seulement parce que l’on y trouve cette identification à un Saussure « seul et malheureux », mais aussi pour ce que Barthes y insinue quant au caractère inaugural, anticipatoire, en somme prophétique, de sa lecture des images. C’est comme si Barthes disait : « Peut-être que cet « obtus », je suis pour l’instant le seul à le percevoir, et peut-être que le lecteur ne verra en moi qu’une « aberration », prendra ce que j’écris comme un discours qui confine au délire, tout comme Saussure délirait probablement quand il reconnaissait des anagrammes partout dans les vers saturniens latins. En effet, je suis comme obligé de lire cet « obtus », et je suis peut-être l’unique au monde à subir cette obligation. Mais cette solitude est provisoire : ce que je lis – et qui m’émeut – est comme la découverte d’un nouveau continent que la masse ne voit pas encore. Le continent du signifiant sans sens – du féminin au-delà du langage. »

          Comment participer, aujourd’hui, à cette solitude aberrante de Barthes? Comment nous ouvrir la possibilité de cette chose qui est nécessaire pour Barthes, et dont il se plaint (tout en s’en vantant) ? Dans ses exemples, on est frappés par quelques caractères récurrents, insistants : des détails du visage ou de l’habit des personnages, des détails qui renvoient à une aura de déguisement, de ridicule, de postiche pastiche, à une sorte d’humilité dérisoire qui émeut. Il apparaît clairement que c’est la figure humaine – et rarement un détail de la nature inorganique – qui émeut Barthes ; mais c’est alors une figure humaine vêtue, travestie, maquillée, poudrée, coiffée et arrangée. Mieux : certains détails particuliers de cette figure l’attirent – habillement humain qui semble dénoncer quelque chose de faux, de rafistolé, comme un déguisement hâtif qui laisse transparaître le vrai corps sans défense.

En effet, quand (rarement) Barthes écrit sur le cinéma, c’est le détail insistant d’une figure, celui qui ne s’impose pas à la synthèse de la conscience, qui l’intéresse. Dans un commentaire[15] au film Jules César de Mankiewicz, ce qui le frappe le plus, c’est que tous les personnages ont une petite frange sur le front. « Qu’est-ce donc qui est attaché à ces franges obstinées ? Tout simplement l’affiche de la Romanité » « C’est que, pour nous [Français], le signe fonctionne avec excès, il se discrédite en laissant apparaître sa finalité » : celle d’imposer une héraldique simpliste du monde antique.

De manière analogue, il s’attarde sur les cheveux en désordre de Portia et Calpurnia quand les deux matrones sont réveillées en pleine nuit : signes qu’il dénonce comme « excessifs et dérisoires ». Et puis presque tous les personnages suent abondamment : signe visible de leur conflit intérieur. Dans cette esthétique, « suer c’est penser ».

          Barthes semble particulièrement touché par les chevelures : « Il y a eu […] à la Libération, une coupe de cheveux pour les jeunes gens qui venait de Gérard Philippe. On avait des millions et des millions de Gérard Philippe dans la rue. »[16]. Un trait de mode répété est perçu comme une pandémie disséminatrice, une inquiétante métastase. Mais il s’agit de toute façon de détails qui font partie de la coiffure, du vêtement, ou de la particularité physionomique de quelqu’un – du semblant de l’être humain.

 

 

  1. 3.      Le fragment du fétichiste

 

          Le sens obtus est indescriptible : “comment décrire ce qui ne représente rien ? » (TS 55). Mais alors, dira-t-on, l’obtus n’est-il pas de l’ordre de la musique ? La musique – à part peut-être le chant – n’a-t-elle pas été, depuis toujours, non-représentative, abstraite, signifiant sans signifié ? Au fond, est-ce que Barthes ne tente pas ici de dénicher dans la photographie et dans le cinéma – deux arts pourtant irréparablement réalistes - le signifiant musical ? Les avant-gardes du XXe siècle n’ont-elles pas cherché à musicaliser tous les arts[17] ? Oui et non. Oui parce que nous sommes tout à fait incapables de décrire dans le langage articulé la mystérieuse émotion que nous donnent certaines structures musicales ; oui parce que la musique, à part le chant des oiseaux, est une création spécifique à l’homme (le sens obtus semble en effet inséparable d’une condition préalable d’artificialité). Non parce que l’obtus n’apparaît pas, comme la musique, dans une syntaxe temporelle, dans un continuum d’accords ; il a au contraire un caractère discontinu, fragmentaire, erratique, intermittent : en cela il relève plutôt de l’anti-musique, du moins si l’on pense à la musique tonale.

          Le caractère fragmentaire de cette “obtusité” est double. Elle émerge d’une part dans des détails internes du photogramme, d’autre part dans l’isolement même du photogramme, ce dernier étant un détail par rapport au continuum ininterrompu du film. Le photogramme est lui aussi un petit bout de film qui a glissé hors de la narration, hors du logos, et il est promu protagoniste solitaire (par exemple dans l’affiche du film) tournant le dos à l’orchestration diégétique de la pellicule.

          Ces traits – fragmentation, détail, caractère humble, postiche, dérisoire, stupidité, supplémentarité, ersatz – rappellent certains des traits physionomiques de ce qu’on appelle la perversion fétichiste. L’émotion dont parle Barthes ressemble à celle qu’éprouve le fétichiste devant le détail ou l’appendice du corps humain – dans la majeure partie des cas, chaussures et pieds. Barthes lui-même parle ici de fétiche (TS 51) à propos d’un photogramme de Potemkine (l’enterrement de Vakoulintchouk) où l’on voit au tout premier plan une masse de cheveux féminins, et juste derrière le chignon. Cette chevelure exprime la douleur, pourtant l’obtus selon Barthes émerge grâce au chignon, c’est-à-dire là où l’on distingue une coupe, une discontinuité. Comme le bouc de l’acteur qui joue Ivan : une barbiche touchante pour Barthes justement dans la mesure où l’on y aperçoit (brechtiennement) la suture. Barthes est donc touché par l’obtusité quand le corps humain manifeste quelque chose de postiche, un supplément adjonctif, à condition que ce potiche se déclare comme tel, qu’il révèle la solution de continuité. En somme, il faut que le corps déguisé se laisse compatir.

 

Barthes dit que l’important aujourd’hui n’est pas de détruire la narration, mais de la subvertir : non pas effacer le sens, mais faire émerger à partir de lui “le sens obtus”. Or, dans le désir hétérosexuel masculin, le fétichiste fait quelque chose de semblable : il ne nie pas la femme, il reste sensible à son charme, mais l’ordre hiérarchique des attraits féminins est subverti. Ce qui est marginal, périphérique ou subordonné dans la « syntaxe » érotique normale, se dresse, impertinent, au centre du tableau érotique fétichiste : le pied, le bas, la chaussure, le corset, la culotte. Bien sûr, l’érotisme masculin, tendanciellement fétichiste, tend à fragmenter le corps de la femme (ou de l’homme s’il est homosexuel), à promouvoir certains traits spécifiques – le sein, la cuisse, le cou, les fesses, (le pénis), etc. – comme sources électives du désir. Mais le fétichiste exaspère avec une rigueur excessive ce tropisme masculin : la femme l’attire pour ce qu’elle n’est pas (un être avec un pénis) mais qu’elle doit avoir pour être désirée. L’objet fétichiste s’émancipe presque complètement de son contexte : un fétichiste peut contempler longuement, en éprouvant une réelle émotion érotique, une vitrine pleine de chaussures féminines. La chaussure peut être tout à fait extrapolée de l’olon (du tout) du corps féminin, élue seule ou en série dans une « lecture verticale », comme dirait Barthes. Et la chaussure fétichiste – ou le duo chaussure-pied – n’a-t-elle pas ce caractère « parodique et disséminateur » (TS 60) que Barthes attribue au photogramme ? La chaussure, comme le photogramme, n’est pas un échantillon, c’est une citation : elle évoque la féminité toute entière, mais comme entre guillemets. La chaussure « guillemette » le corps de la femme[18].

 

          Pour Freud (1927), le fétichisme est le résultat du désaveu (Verleugnung) d’une découverte infantile : la femme n’a pas de pénis. Pour Freud, le fétichiste est « partagé », dans le sens où, évidemment, il sait que la femme n’a pas de pénis (et il la désire pour cela même), mais une autre partie désirante de lui-même n’en veut rien savoir, et ce n’est pas un hasard s’il choisit comme fétiche – ersatz du pénis – l’objet désirable par excellence. En effet, la chaussure ou le pied – pour se limiter aux fétiches les plus communs – ont cette connotation d’appendice ou de marginalité, et surtout d’humilité. Mais il est aussi vrai que, comme dirait W.R. Bion, la chaussure est un container : quand le fétichiste s’excite pour le pied et pour la chaussure, il s’excite pour deux objets complémentaires. En effet, par rapport au pied « aigu », la chaussure est « obtuse » : elle a la qualité féminine, vaginale, d’envelopper le pied et de le contenir. La chaussure est supplémentaire par rapport au pied – tout comme, pour Barthes, le sens obtus est supplémentaire par rapport au sens aigu. Le fétiche a donc une connotation phallique, masculine, mais aussi – dans une oscillation baroque, difficile à saisir selon une logique trop disciplinée – une fonction féminine, enveloppante. Le fétiche a lui aussi – comme une chaussure, un corset, ou une culotte, objets absolument obtus – quelque chose d’ « émoussé, arrondi ». C’est comme si le charme fétichiste glissait de l’objet aigu à l’objet obtus, du masculin (obvie) au féminin (stupide) : le chef d’œuvre fétichiste consiste à phalliciser aporétiquement la vaginalité, à faire du féminin une protubérance qui à son tour émerge et pénètre.

 

Mais alors, le signifiant obtus est-il artificiel ou naturel?

« Tout d’abord, le sens obtus est discontinu, indifférent à l’histoire et au sens obvie (comme signification de l’histoire) ; cette dissociation a un effet de contre-nature ou tout au moins de distancement à l’égard du référent (du “réel” comme nature, instance réaliste). » (TS 55) Ici l’on doit noter que Barthes utilise “réel” entre guillemets, comme une citation : il se réfère à ce que d’autres appellent “réel”, c’est-à-dire la nature de l’art réaliste. Mais dans un autre sens, on peut dire que cet obtus est justement un éclat du réel : c’est en ce qu’il se dénonce comme déguisement, ersatz, coiffure postiche, solution de continuité ou trou dans le continu, qu’il renvoie à la chose pathétique dont il échoue la contrefaçon.

 

  1. 4.     Studium et punctum

 

          Dans La chambre claire, Barthes (1980) s’occupe de la Photographie – et il l’écrit toujours avec la majuscule, pour qu’il soit clair que c’est de l’essence ou de la nature (eidos, species) de la photographie qu’il s’occupe. Ici se développe une distinction qui semble isomorphe à la distinction entre « obvie » et « obtus », même si elle ne l’est pas complètement ; à présent, c’est studium et punctum qu’il souhaite distinguer.

          Le studium (qui reprend le sens obvie) est « l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement […] sans acuité particulière » (CC 48/809)[19]. C’est un affect médian, éduqué, qui répond aux intentions du photographe, à ses intentions d’informer, de représenter, de surprendre, de faire signifier, d’attirer. C’est quand une photographie suscite un intérêt « vague, lisse, irresponsable » (CC 50/810).

          Le punctum est au contraire « piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure »  (CC 49/809), mais aussi ponctuation et mouchetée. C’est quand une partie de la photo – un détail – secoue et émeut le Spectator de la photographie. Si le studium est « I like it », le punctum est « I love it ». Bref, les traits du punctum sont très semblables à ceux du sens obtus – même si, par rapport à l’essai de 1970, Barthes opère une inversion topologique : c’était alors l’obvie qui allait vers le spectateur, qui venait le chercher, alors que c’est maintenant le punctum, qui, partant de la scène photographique, vient le transpercer. Mais l’agression, pour ainsi dire, ne vient plus du photographe, mais bien du détail même. Je dirais même plus : pour qu’il y ait punctum, il faut que le photographe ne le fasse pas exprès - « la voyance du Photographe ne consiste pas à « voir » mais à se trouver là. » (CC 80/827).

Il ne faut pas confondre le punctum avec le choc, comme le font certaines photographies tapageuses d’événements traumatisants. Le choc n’est pas un vrai trouble dans la plupart des photos de reportage :  « la photo peut « crier », non blesser[…] : je m’y intéresse (comme je m’intéresse au monde), je ne les aime pas »  (CC70/821). Et pourtant, le punctum a à voir avec un traumatisme.

Ici aussi[L1] , les exemples de puncta que Barthes nous donne sont très signficatifs. L’immense col Danton d’un enfant, la poupée[L2]  au doigt d’une petite fille, tous deux mongoloïdes. Le passage de deux bonnes sœurs sur fond de scène de guerre au Nicaragua. Les souliers à bride démodés d’une femme de la petite bourgeoisie noire américaine. Les mauvaises dents d’un enfant du quartier italien de New York. La main de Tristan Tzara, avec ses ongles peu nets. Une rue en terre battue dans la Hongrie de 1921. Les ongles noirs et spatulés de Warhol, qui cache son visage de ses mains. Les bras croisés d’un jeune noir habillé en mousse, à côté de Savorgnan de Brazza. Le portrait de Bob Wilson, avec Phil Glass. Un domestique en kilt, qui tient les rênes d’un cheval où est assise la reine Victoire d’Angleterre. La main ouverte d’un jeune homme, peut-être nu, photographié par Mapplethorpe. Au cinéma, il parle de punctum à propos d’un « personnage » du Casanova de Fellini : la femme-automate qui semble se laisser séduire par Casanova.

Ici encore, il n’est pas sûr que les réactions de Barthes puissent être partagées[20]. Par exemple, il parle de punctum à propos d’un collier porté au ras du cou par une dame noire, parce qu’il lui rappelle une tante morte vieille fille. Association tout à fait personnelle, donc. Et pourtant, on commettrait une erreur en réduisant le punctum barthésien à une idiosyncrasie singulière. De quelque façon, de quelque intensité que ce soit, tout le monde peut être troublé par une photographie. C’est justement en faisant appel à cette irrémédiable subjectivité dans notre rapport aux photos que l’essence de la Photographie peut être révélée – et c’est là tout le pari de Barthes.

 

  1. 5.    Métaphysique de la photographie

 

Cependant, dans la deuxième partie de l’ouvrage, Barthes surprend, en faisant son autocritique : finalement, dit-il, j’ai fondé la différence entre studium et punctum sur les affects, c’est-à-dire sur des critères hédonistes. Quelque chose « point » parce qu’au fond on l’aime, mais qu’est-ce qui rend cette chose aimable ? C’est dans le référent lui-même, dans la chose photographiée que doit être cherché le secret de notre rapport, passionnel en fin de compte, à certaines photographies. Le revirement de Barthes prend un sens clairement réal-iste.

Entretemps, quelques événements ont eu lieu. La mort de la mère adorée, à qui cette deuxième partie est dédiée, la recherche de son spectrum à travers les photos qui lui restent d’elle, font de cet essai presque posthume une sorte d’oraison funèbre. Mais au-delà du traumatisme biographique, il est fort probable que Barthes ait eu l’intuition de la fin du linguistic turn[21]. Nous verrons mieux par la suite le sens de cette fin de ce tournant, que Barthes a pressenti avec toute la sensibilité de ses antennes. Il a compris que, outre la Thesis – sur laquelle la culture moderne s’était focalisée, - il fallait thématiser la Physis.

À vrai dire, cette intuition n’était pas nouvelle chez Barthes[22].  En 1961 déjà, toujours à propos de la photographie, Barthes s’interrogeait sur la possibilité d’une dénotation pure, d’un en-deçà du langage :

 

« Si elle existe, ce n’est peut-être pas au niveau de ce que le langage courant appelle l’insignifiant, le neutre, l’objectif, mais bien au contraire au niveau des images proprement traumatiques : le trauma, c’est précisément ce qui suspend le langage et bloque la signification.» [23]

 

Il remarque que les photographies sont rarement proprement traumatiques, au moins parce qu’il faut que le photographe soit là – qu’il assiste en personne aux naufrages, incendies, morts violentes, catastrophes. Quoi qu’il en soit, la « photo-choc est par structure insignifiante : aucune valeur, aucun savoir, à la limite, aucune catégorisation verbale ne peuvent avoir prise sur le procès institutionnel de la signification »[24]. Cependant, on se demande si, au fond, ces photographies ne sont pas celles qu’il préfère, et même, si ce n’est pas toujours proprement un détail traumatisant, « insignifiant », qui rend finalement certaines photographies touchantes, qui fait qu’elles me « poignent »[25]. C’est là tout le paradoxe : le dévoilement de l’ «obtus» signifiant finit par se résoudre … dans l’insignifiant. C’est comme si le langage, en créant sens et finesse, concepts et assurance, laissait émerger, au-delà de son emprise sémantique, une zone obtuse, insensée, fétichiste, traumatique.

C’est en découvrant une photo de sa mère enfant – une photo qui le « point », le blesse d’une façon particulière, et nourrit son deuil – que Barthes pense découvrir enfin le secret du punctum. « J’avais compris qu’il fallait désormais interroger l’évidence de la Photographie, non du point de vue du plaisir, mais par rapport à ce qu’on appellerait romantiquement l’amour et la mort. »(CC 115/ 849). Par « amour et mort », il faut entendre le lien essentiel de la Photographie avec le réel comme temporalité.

Par exemple, il se sent « point » par une photographie de 1865 qui représente un beau jeune homme menotté, condamné à mort pour avoir attenté à la vie du secrétaire d’Etat américain (CC148/865) : le punctum, c’est que ce garçon va mourir. En tant que dead man walking, il le touche. Dans la photo historique, le Temps est écrasé : quelqu’un est mort, ou va mourir. Le punctum de toute photo réside dans son rapport au réel comme temps.

En effet, dans la photographie le rapport au Temps est paradoxal. Toute photo nous dit : « ça a été » - elle nous dit que son référent est mort. Même si la personne photographiée est encore vivante, la photographie, en fixant un instant passé dans sa contingence radicale, et en perpétuant sa trace, nous parle du référent photographique comme d’un spectrum : spectacle spectral. La photo est l’image vivante d’une chose morte. «[E]n regardant une photo, j’inclus fatalement dans mon regard la pensée de cet instant, si bref fût-il, où une chose réelle s’est trouvée immobile devant l’œil. » (CC 122/852) L’essence de la Photographie ne réside donc pas dans la Communication ni dans l’Art (pas dans le sens dénoté, ni dans le sens obvie – évident – comme il l’écrivait dans « Le troisième sens ») : elle se trouve dans la Référence. « La photo est littéralement une émanation du référent» (CC854). Même s’il existe des photos picturales, de fait, la photographie ne dérive pas de la peinture, mais de la chimie. Elle est le fruit d’un processus photochimique grâce auquel quelque chose qui a été laisse une trace visible. Cette position « réaliste » ne consiste pas – comme dans la rhétorique du soi-disant réalisme – à dire que la photo est « une copie » du réel, mais à la considérer comme « une émanation du réel passé » (CC138/861)

La photographie, en tant que rapport visuel au réel passé, est un fait sans méthode, une image sans code – à la différence d’un texte de fiction, elle ne peut être interprétée. La Photographie est donc plus « métaphysique » que linguistique. Le langage est par nature fictif, alors que la photo garantit que quelque chose a été réel : « comme Cassandre, mais les yeux fixés sur le passé, elle ne ment jamais » (CC 135/858).  Le temps de la photo n’est pas le parfait mais l’aoriste. [26]

 « C’est en cela qu’elle [la photographie] m’induit à m’étonner, en m’adressant la question fondamentale : pourquoi est-ce que je vis ici et maintenant ? » (CC 131/856). C’est l’extase photographique – que dix ans plus tôt il appelait « obtusité ». La photographie suscite en nous des questions métaphysiques « stupides » : sur le ciel, sur le temps, sur la vie, sur l’infini, etc. Par exemple, quand il voit la photographie (1853) du dernier frère de Napoléon, Jérôme, Barthes s’exclame : « Je vois les yeux qui ont vu l’Empereur. » (CC 13/791). Il l’admet, c’est une réaction stupide, c’est-à-dire métaphysique. Nous comprenons dès lors pourquoi il avait qualifié d’obtus le « signifiant » qui le touchait dans certains photogrammes : il voyait comme signifiant ce qui au contraire ouvre sur l’insignifiance de l’autre dans sa réalité alibi et tunc (ailleurs et dans un autre temps).

C’est justement parce que chaque photo, en rendant présent le passé, fait impérieusement allusion à ma future mort, qu’elle interpelle chacun d’entre nous « hors de toute généralité (mais non hors de toute transcendance) » (CC152/857). Ici, Barthes ne cite pas Heidegger et son « être pour la mort », et pourtant il semble influencé par cette thèse : ma mort (et pas celle de l’autre) est toujours authentique, précisément parce que c’est seulement la mienne, en-dehors de toute généralité. Notre mort nous transcende toujours en tant que notre possibilité la plus propre. En évoquant la mort – et donc aussi ma mort – la photo brûle, blesse, parce qu’elle pose la question de la contingence de chacun, absolue, insensée, qui échappe à toute dialectique. La photo ressemble à une « science impossible de l’être unique » (CC 110/847) : l’autre n’est pas indispensable – personne n’est vraiment indispensable – il est irremplaçable. L’individuus (qu’on ne peut diviser) est l’insubjectus (qu’on ne peut remplacer), une contingence qui ne cesse qu’avec la mort.

 

  1. 6.    La folie compatissante.

 

Si donc le noème de la Photographie est simple – aucune profondeur : « ça a été » – la Photographie n’a donc aucun rapport avec la vérité ? Le langage ne parle jamais de l’absolument contingent, il dit plutôt le vrai ou le faux, il parle de la vérité. La photo quant à elle renvoie à l’identité, jamais à la vérité. Elle atteste une présence passée, mais elle ne dit aucune vérité. La Photo « ne sait dire ce qu’elle donne à voir » (CC156/870) Et pourtant, nous disons d’une photo qu’elle est plus ou moins ressemblante à un modèle. En outre, nous sommes convaincus que certaines photos expriment  « la vérité » d’une personne, par exemple, qu’elles captent fidèlement leur air – une photo heureuse peut saisir cet air. Mais la vérité d’une photo n’est pas quelque chose de conceptuel : c’est quand nous disons d’une photo de quelqu’un (même si nous ne le connaissons pas personnellement) « C’est exactement ça ! ». Et pourtant cette vérité ou ressemblance de la photo est une illusion : la photo se limite à faire le portrait de quelqu’un « en tant que lui-même », de sa présence, et pas de sa vérité. C’est dans ce quiproquo de la photographie que Barthes situe l’essence de sa folie.

« La Photographie peut être en effet un art : lorsqu’il n’y a plus en elle aucune folie, quand son noème est oublié » (CC 180/883). En quoi consiste cette folie de la Photographie ? Barthes la voit dans les photos où quelqu’un nous regarde. Ici, l’autre ne nous voit pas : le regard de la photo est toujours aveugle. Mais ce regard qui ne voit pas nous révèle la source du punctum. Dire que ce qui nous « point » est le noème de la Photographie (« ça a été »), c’est encore une approximation. Barthes va plus loin : la photo frappe, séduit, quand elle suscite cette peine amoureuse que nous appelons pitié. En quelque sorte, aimer quelqu’un consiste toujours à en avoir pitié ; pas nécessairement parce que la personne aimée souffre, ou parce qu’elle est morte, mais simplement parce qu’il s’agit de s’occuper de l’autre dans toute sa fragilité, en tant qu’être menacé par le temps et entouré d’un halo de mort. Le véritable amour pour l’autre n’est pas un amour pour « mon objet » - pour ce qui me plaît ou me satisfait – mais pour l’existence de l’autre, c’est-à-dire pour sa contingence radicale, impensable. L’image photographique qui « point » est celle qui nous rend en quelque sorte amoureux, qui nous fait ressentir cette pitié pour l’autre, en tant qu’il « a été ». La Photographie nous initie à ce qui, pour le docteur Johnson, était « la folie des sages, la sagesse des fous » : l’amour. Photographie, regard qui ne voit pas, folie, pitié amoureuse : toutes ces choses sont étroitement liées.

Chaque photo affirme un champ aveugle, c’est-à-dire une partie de la scène qui se trouve au-delà des limites de la photo. Paradoxalement, c’est ce champ aveugle qui compte dans chaque photographie en particulier. Barthes, sans doute lassé de la sémiotique, revient ici à quelques thèmes centraux de la phénoménologie –ce n’est pas par hasard que le livre est dédié à un essai très phénoménologique de Sartre, L’Imaginaire. La phénoménologie thématise l’intentionnalité de la conscience, c’est-à-dire le fait qu’en tant qu’êtres humains nous soucions toujours des choses mêmes : notre rapport à elles ne se limite pas à leurs images ou leurs représentations. Les choses ne sont pas décomposables et solubles dans les objets qui sont pour nous –  « objets » dans un sens double, comme objets de notre perception, de notre contemplation d’une part, et comme objets de notre désir, de notre haine ou de notre amour, de l’autre. Pour la phénoménologie, quand nous pensons à Jules César, nous ne pensons pas à notre image de Jules César, nous pensons – ou nous essayons de penser – au Jules César de l’histoire, même si nous ne pouvons le penser, l’intentionnaliser, nous soucier de lui, qu’à travers des images mentales. Le Jules César réel est comme le champ aveugle de notre image de Jules César. De manière analogue, pour Barthes nous ne pouvons jamais complètement nous abstraire de cette croyance fondamentale qui veut que la chose photographiée « ait été ». Les images photographiques ne sont jamais seulement des images : ce sont des traces de présence dans le temps. La photo ou le photogramme est une trace qui ne se réduit jamais à l’image elle-même, mais qui re-présente quelque chose qui existait en soi. Or, cette existence réelle à laquelle toute photo renvoie est aussi une existence évanouie, annulée, dont il existe aujourd’hui seulement la trace – c’est là ce qui fait la « folie » des photos.

 

  1. 7.    Le rachat du réel.

 

 

Nous avons dit que cet essai marque un tournant important dans l’approche que fait Barthes des signes : il dépasse ici la conception logocentrique qui a dominé la culture européenne au moins jusqu’aux années 70. Ce n’est pas qu’il ait voulu suivre de manière opportuniste la nouvelle direction du vent. Son empressement à changer de cap est plutôt le signe de sa personnalité créatrice, qui ne pouvait rester sourde à ce qui l’entourait. Il ne s’agit pas pour lui de se mettre au goût du jour, mais plutôt de répondre de façon tout à fait personnelle et idiosyncratique aux contorsions du monde. Notre éventuelle originalité ne se fait pas contre ou en-dehors de l’Histoire, mais toujours à l’intérieur, dans une sorte de dialogue-frottement. Barthes est le Picasso de la théorie esthétique : il ne s’est pas contenté de décliner sans cesse le même paradigme synchronique, mais il a paradigmatisé avec délices les stades ou stases d’une diachronie dynamique. C’est comme si, dans chaque phase, à chaque extase, Barthes avait voulu sauver quelque chose de lui-même, une liberté de mouvement bien à lui dans l’épaisseur suffocante des idées, dans un monde de savoirs, d’idéologies, d’images, qui risqueraient d’occuper tout l’espace, sans nous laisser le vide indispensable au mouvement et à la respiration.

Barthes s’est engagé dans l’aventure sémiologique, mais au cours des années 70 il sent qu’il faut prendre une certaine distance. En effet, le travail sémiotique des années 60 et 70 était la variante d’un programme qui a polarisé une grande partie du XXème siècle, et que j’appellerais critique de la naturalisation des interprétations. Le paradigme de ces critiques, au-delà de l’infinité des formes qu’elles ont pu prendre – marxistes, nietzschéennes, freudiennes, sémiologiques, foucaldiennes, féministes, etc.  – c’est la critique de la très célèbre naturalisation de l’infériorité des esclaves et des femmes défendue par Aristote[27]. Au XXème siècle, des fleuves d’encre ont été versés sur les innombrables variantes de ce thème : il s’agissait de démontrer que la pauvreté des pauvres, l’assujettissement des esclaves et des femmes, l’infériorité des sauvages, etc., ne sont pas le reflet d’inégalités naturelles, ou de la diversification universelle de la nature humaine, mais bien des produits historiques, des interprétations épocales.

Le film The Truman Show (1998), de P. Weir, symbolise cette tradition de l’émancipationnisme du XXe siècle : dans ce film Truman – true man – découvre que ce qu’il croyait être sa vie « naturelle », normale, de petit employé sur une petite île américaine, n’était rien d’autre qu’un grand artifice médiatique : des millions de spectateurs suivaient à la télévision son existence comme un Reality Show, et il était le seul à ne pas le savoir. À la fin du film, Truman découvre que son existence n’a jusqu’alors été qu’un artifice, il décide de passer à la vraie vie. La sémiotique a participé à cette fuite de Truman : contre l’Idéologie du Kitsch – qui débite des signes sans les (d)énoncer comme tels, en les offrant comme des évidences ou des universels – il fallait mettre à nu la machine plus ou moins bien huilée de la signification, les coulisses et les installations du langage (ou de l’Histoire) qui rendent possible la magie du spectacle culturel, séduisante et convaincante.

Cependant, Barthes sent, à un certain point, que la tâche qui lui incombe désormais peut et doit être différente – il est ici « seul et malheureux » comme Saussure. La phénoménologie de la Photographie lui permettait d’illustrer – presque comme un manifeste – ce nouveau devoir.

La date de naissance de la photographie ne lui semble pas fortuite : elle est apparue quand dans les sociétés modernes s’est affirmée une sorte de Mort sans symbole, dépouillée de la consolation religieuse et de la réparation rituelle. La Mort est devenue littérale, insensée, parce que notre culture rejette la durée. «Et sans doute, l’étonnement du “Ça a été” disparaîtra, lui aussi. Il a déjà disparu. J’en suis, je ne sais pourquoi, l’un des derniers témoins (témoin de l’Inactuel)… » (CC 147/865) Cette revendication d’inactualité à la Nietzsche est touchante, surtout si on la compare à ce regard neuf qu’il brandissait comme une prétention prophétique, dix ans auparavant, quand il écrivait sur Eisenstein. À cette époque, il s’intéressait déjà aux mêmes choses – au punctum, au signifiant insignifiant – et pourtant entretemps sa relation à l’Histoire a été renversée. Il se pro-posait alors comme l’avant-garde et le précurseur d’une nouvelle éthique-esthétique, au-delà du temps présent. Dix ans plus tard il se pré-sente comme le témoin survivant d’un monde imprégné de temporalité. De l’héroïque euphorie révolutionnaire, il est passé à la pitié mélancolique du réel inactuel.

L’insistance de Barthes sur la vocation réaliste de la Photographie a donc aussi une valeur performative de dénonciation : Barthes regrette que notre monde soit de plus en plus dominé par l’imaginaire, par des photographies, par des images multimédiales. Paradoxalement, son Éloge de la Photographie est l’antiphrase d’un monde trop centré sur les photos. Aujourd’hui nous dirions que le virtuel tend à destituer le réel. Le slogan du Virtuel affirme que, face au caractère défectueux du réel, seul le virtuel –  le possible imaginé – peut nous procurer un caractère vertueux. Virtuel, c’est ce qu’Aristote avait appelé la dynamis : la possibilité, la puissance, le pouvoir, le pouvoir-être dynamique. La puissance est ce que nous pouvons seulement imaginer être. Nous pourrions dire que nous vivons dans une époque où la puissance – le pouvoir, le virtuel, les oracles imaginaires – l’emporte sur l’acte et l’actualité (l’energheia d’Aristote). Pour les Antiques, l’être accompli et parfait était celui qui était en acte – actual, disent-encore les anglophones. Pour nous Modernes, au contraire, l’acte a été en partie désamorcé, et ce qui nous fascine désormais, c’est la potentialité, le pouvoir.

Lacan (1978) disait que les gens ont besoin de psychanalystes parce qu’ils se sentent étouffés, étranglés par le réel. Mais ce réel dont il parlait était en réalité le monde restructuré par la science et la technique, l’environnement non-naturel conçu précisément pour satisfaire nos besoins : un « réel » produit par le savoir. Quand on remodèle la nature pour en faire le monde de ses propres rêves, ce monde vire au cauchemar. Le réel qui nous étouffe est donc virtuel et vertueux. Même pour Barthes, nous sommes comme vidés, appauvris par ce primat du virtuel, qui a remplacé le réel. « Nous vivons selon un imaginaire généralisé » (CC182/884) regrette Barthes : l’image « déréalise complètement le monde humain des conflits et des désirs » (CC182/884). Nous allons vers un monde qui non seulement a désymbolisé la mort, mais qui tend, par l’image, à éliminer les différences, à nous plonger dans une commune indifférence. Face à ce débordement des images et des machines – qui réduisent notre être à une conformité imaginaire, qui nous vident – Barthes ressent le besoin de revendiquer le primat du réel, le besoin d’un retour au réel. Éthiquement, il s’agit de substituer à la suprématie du plaisir (qui aspire toujours aux images) celle de l’amour et de la pitié (qui s’occupe du réel).

 

Cependant, cette insistance sur les photos de sa mère disparue n’est pas simplement le signe d’une douleur personnelle : elle renvoie secrètement à cette qualité maternelle, féminine du signifiant que nous avions repérée dans l’essai sur le « troisième sens ». Mais Barthes qualifiait alors de signifiant ce qui est désormais simplement significatif :  la réalité insignifiante de l’autre qui se laisse aimer. C’est comme si, dans son parcours théorique, Barthes refaisait le chemin de la subtile dialectique du fétichisme : le fétiche, qui se présente de prime abord comme un ersatz phallique, un pénis détachable péniblement collé au corps de l’image totale, se révèle en réalité, quand on s’oriente vers le référent, comme quelque chose qui contient. La vérité du fétiche est la pitié (pour la mère ?) ou le traumatisme qui ouvre à l’amour : l’humilité du fétiche ramène le fétichiste non pas seulement à l’humiliation qui le constitue, mais au caractère mutilé, blessé, de la femme. Or, pour Barthes, la Photographie est fétichiste justement dans la mesure où elle donne forme et image à la Mort de la Mère. Si par Mère nous entendons la rencontre amoureuse originelle, le fétiche commémore avec insistance cette perte de la Mère, dans le double sens du génitif, objectif et subjectif : j’ai perdu ma mère, et ma mère m’a perdu, ou a perdu quelque chose que je ne peux pas lui donner.

Barthes, comme tous les modernistes, est héritier de l’esthétique benjaminienne, pour laquelle la mission de la modernité consistait précisément à éliminer l’aura fétichiste de l’œuvre d’art : cette attaque radicale de la fétichisation de l’œuvre devient chez Barthes une nouvelle esthétique fétichiste, qui fait du fragment et de la présence réelle la source d’une émotion exquise. La sémiotique émancipationniste attaquait l’imaginaire pour nous ramener à la puissance historique du Symbolique, pour que nous nous soumettions craintivement à elle, tout en nous émancipant. À l’inverse, le « réalisme » que Barthes inaugure attaque l’imaginaire pour nous ramener au Réel. Et par Réel il ne faut pas comprendre les supposées universalités naturelles qui nous fondent, mais l’irruption de l’événement et de la contingence dans la cuisine symbolico-imaginaire.

 

  1. 8.    L’art colonise le réel.

 

Le tournant réaliste de Barthes à propos de la photographie est sans doute significatif, mais quelle importance a-t-il pour l’esthétique en général ? Ce primat du référent s’applique à une forme qui est fondée sur la reproduction chimique, mais quelle pertinence peut-il avoir pour des arts de pure fiction ? Un personnage de roman ou d’un film est un effet purement imaginaire alors que l’image – comme le rappelle Barthes en citant Sartre – est un néant d’objet. C’est vrai.

Et pourtant qu’est-ce qui compte dans une grande œuvre d’art ? Les signifiés, les symboles, les messages qu’elle semble nous transmettre, et qui sont lus et interprétés différemment par chaque époque et chaque école de pensée? Ou plutôt le fait que ces situations, personnages, passages, eidola (images-idoles) sont désormais entrés dans notre monde, dans notre vie, dans nos souvenirs, comme s’ils étaient des présences réelles ? Certes, l’Œdipe de Sophocle, le prince Hamlet, Roméo et Juliette, la Jeune fille à la perle de Vermeer, Gregor Samsa, Scarlett O’Hara, etc. n’ont jamais existé, ou en tout cas leur existence est incertaine. Et pourtant ces personnages existent comme des présences pour nous, leur existence fantasmatique nous hante. Ce n’est pas par hasard qu’on a inventé la maison et la tombe de Juliette à Vérone, où les touristes se précipitent pour se prendre en photo à tour de rôle. Et Pinocchio n’est-il pas, pour de nombreux enfants, un camarade concret et amoureux, pour lequel ils ont ri et pleuré ? La barrière ontologique entre les créatures de l’imagination et les présences historiques s’efface, et ce n’est pas seulement parce que les masses superstitieuses veulent naïvement « rendre réelles » les images qui les touchent, comme le dénonce insidieusement un torve moralisme « francfortois ». L’écart ontologique se réduit petit à petit parce que la création fictive fait événement dans l’histoire, s’impose comme une quasi-présence qui cohabite avec nous. L’imaginaire entre dans l’histoire tout autant que les idées, les philosophies, les croyances religieuses : il ne peut pas s’imposer comme vérité – dans le sens d’une vérité scientifique ou religieuse – et pourtant il s’impose à nous comme une quasi-réalité.

Dickens fut accusé presque d’homicide par une avalanche de lecteurs parce qu’il avait fait mourir Little Nell, le personnage de The Old Curiosity Shop. Il en fut bouleversé. La douleur des lecteurs de Dickens était-elle seulement une illusion ? Disons plutôt que, malgré tout, l’être humain est attiré, appelé par le réel. L’être humain, qui n’a jamais assez de réel, fait tout pour l’enrichir, autant en cherchant des réalités invisibles (comme le fait la science), qu’en donnant à des formes dessinées par l’imagination le prestige et l’épaisseur des choses réelles.

 

Bibliographie

 

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Starobinski, J., 1971, Les mots sous les mots, Gallimard, Paris.



Sergio Benvenuto

 


[1] Barthes, 1971, pp. 131-132

 

[2] Barthes 1980, p. 141 (Œuvres Complètes, Tome V, p. 862)

 

[3] Publié dans “Les cahiers du cinéma en 1970”. Cet essai occupe une place privilégiée dans le recueil d’essais L’Obvie et l’Obtus (Seuil, 1982), qui tire justement son titre de cet article.

 

[4] Barthes appartient à une génération qui considérait Eisenstein non pas simplement comme un des grands maîtres du cinéma, mais comme le cinéma même. L’admiration particulière de Barthes pour Einsenstein et pour Brecht rejoint le tropisme politique de sa génération, qui a rejeté le réalisme, que ce dernier soit “socialiste” ou “néoréaliste » bourgeois. Barthes a senti sa propre démarche en continuité avec l’épopée de ce que j’appellerais le « formalisme socialiste », qui s’était précocement opposé -  aux temps de D. Vertov, V.B. Sklovski, V. Maïakovski, K.S. Malevitch – au réalisme socialiste.

 

[5] Barthes, 1967

[6] Barthes, Le Grain de la voix, Seuil, Paris 1971, p. 75

[7] Barthes, 1984, “Les sorties du texte” (1973), in Le bruissement de la langue, Seuil, Paris.

[8] Dorénavant, nous indiquerons ainsi les références aux pages du « Troisième sens ».

[9] Pour Croce, l’intuition propre à l’art est d’essence lyrique, en cela qu’elle est toujours accompagnée de sentiment : dans l’intuition lyrique, ce qui a lieu est une synthèse a priori d’image et de sentiment.

 

[10] De obtundere, battre avec des coups redoublés : ce qui est battu très fort s’émousse.

 

[11] La plus ancienne occurrence du mot obtus dans le sens d’ “émoussé”, dont descend ensuite la dénomination géographique, remonte à 1503 en France.

 

[12] Ce caractère intentionnel de la signification pourrait faire l’objet de contestations de la part d’un psychanalyste. Il n’est pas dit que le sens obvie soit toujours le fait de l’auteur, bien au contraire.

 

[13] Italiques de Barthes.

 

14 Saussure (Starobinski 1964, 1971) présenta une étude embarrassante – qu’il ne publia jamais –sur la poésie saturnienne latine: pour lui ces vers étaient en fait des anagrammes de noms de divinités (entre autres) auxquelles ces vers faisaient allusion. En élargissant ses recherches à la poésie épique et lyrique grecque, puis à la poésie latine en général, il se rendit compte qu’on pouvait trouver partout “un texte sous le texte”, une activité anagrammatique.

 

[15] Barthes, 1957, Mythologies in Œuvres complètes, tome 1 1942-1965, Seuil 1993, p.578-579.

[16] Barthes, 1978, Encore le corps,  Critique, 4e tr. 1982, in Œuvres Complètes  vol. V, Seuil, Paris, 2002, p. 563

[17] C’est là une thèse soutenue par beaucoup, voir par exemple Gadamer (1967).

[18] Voir Benvenuto (2004).

[19] A partir de maintenant, les parenthèses avec CC renverront à La Chambre claire : d’abord dans l’édition Gallimard/Seuil/Cahiers du Cinéma/ puis dans la dernière édition des Œuvres Complètes (Seuil, 2002), tome V, citée dans la bibliographie.

[20] «Aussi, donner des exemples de punctum, c’est, d’une certaine façon, me livrer.» (CC 73/822)

 

[21] J’utilise ici le terme proposé par Rorty [1968], qui faisait en fait référence à la philosophie analytique anglo-américaine.

[22] J’irais plus loin, en disant que la dimension formaliste et structuraliste de Barthes – la plus célèbre – est seulement la partie obvie  de son travail. Mais la partie que je préfère est la partie obtuse, c’est-à-dire sa surprenante sensibilité fétichiste au punctum.

[23] Barthes 1961, « Le message photographique », in Œuvres Complètes, Tome I, 1942-1965, Seuil 1993, p. 948

[24] Barthes 1961, Ibid, p. 948

[25] NdT : le terme « poindre » est employé par Barthes, tout au long de la Chambre Claire.

[26] L’aoriste indique des actions ponctuelles, sans tenir compte de leur durée et de leurs conséquences. Le thème de l’aoriste s’applique à une action passée, momentanée ou ponctuelle, considérée comme un fait en soi, alors que le thème du parfait évoque une action accomplie dans le passé, dont les effets restent sensibles dans le présent. 

[27] Politique, I, (A), 4-5, 1254


 

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